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Nature Communications : La fonte à la cire perdue : une technique vieille de 6000 ans inventée à Mehrgarh (Pakistan)

publié le , mis à jour le

High spatial dynamics-photoluminescence imaging reveals the metallurgy of the earliest lost wax-cast object. M. Thoury, B. Mille, T. Séverin-Fabiani, L. Robbiola, M. Réfrégiers, J.-F. Jarrige, L. Bertrand. Nature Communications, 15 novembre 2016.

A partir d’une méthode mise en œuvre pour la première fois en archéologie, une équipe de recherche pluridisciplinaire associant IPANEMA, le C2RMF, PréTech, TRACES, le synchrotron SOLEIL, ArScAn et le Musée national des arts asiatiques–Guimet a dévoilé la mise au point de la technique de fonte la cire perdue. Ces travaux viennent de paraître dans la revue Nature Communications.

La cire perdue est une technique de fonderie de précision partant d’un modèle formé dans un matériau à bas point de fusion comme la cire d’abeille. Ce modèle est enrobé de terre, chauffé pour évacuer la cire, puis cuit. Le moule contenant l’empreinte de l’objet est par la suite rempli de métal en fusion. Dans une dernière étape, il est brisé pour libérer l’objet en métal. Les plus anciens objets connus qui ont été fabriqués avec cette technique proviennent du site de Mehrgarh (région de l’Indus, actuel Pakistan). Ce site, découvert et fouillé en 1974–1985 et 1997–2000 par la Mission archéologique de l’Indus dirigée par Jean-François Jarrige (1940–2014) en collaboration avec le Département d’archéologie et des musées du Pakistan, est connu comme un lieu d’innovation intense depuis le Néolithique : premières pratiques d’élevage, textiles, soins dentaires, perles et céramiques glaçurées, ainsi que métallurgie.

En 1985, une petite amulette en forme de roue était collectée à MR2, un secteur du site de Mehrgarh n’ayant été occupé qu’au Chalcolithique ancien entre 4500 et 3600 av. J.-C. Une première étude, conduite dans les années 2000, avait permis de conclure à l’utilisation de la cire perdue. Cependant la corrosion intégrale de l’objet ne permettait pas de comprendre son élaboration et les recherches furent interrompues. Dans le cadre d’une thèse de la nouvelle université Paris–Saclay, une approche d’imagerie spectrale de photoluminescence UV/visible a été développée au laboratoire IPANEMA et sur la ligne DISCO du synchrotron SOLEIL, et appliquée pour tenter d’extraire de nouvelles informations. En parallèle, un programme sur l’origine et le développement des techniques de fonte à la cire perdue de l’Indus à la Méditerranée venait d’être lancé par le C2RMF et PréTech. L’amulette, objet emblématique, a été choisie pour tester la nouvelle approche.

L’équipe a alors observé un phénomène inattendu : la fossilisation complète de l’état métallurgique du matériau d’origine du centimètre au micromètre. La révélation d’une morphologie eutectique, invisible avec toutes les autres approches testées, a permis de comprendre l’ensemble du procédé de fabrication de l’objet. Après solidification à haute température, le matériau était composé d’un eutectique : des bâtonnets d’oxyde cuivreux (cuprite) dans une matrice de cuivre. Avec le temps, dans le sol, cette matrice métallique s’est aussi oxydée en cuprite. Le contraste observé par photoluminescence résulte d’une différence de défauts cristallins entre les deux cuprites présentes : une variation entre la teneur en atomes d’oxygène dans la cuprite de l’eutectique et dans celle formée par corrosion. Cette observation offre la clé de la reconstruction de la chaîne opératoire de fabrication de l’objet avec un niveau de détail sans précédent pour un objet aussi corrodé, depuis le choix du minerai utilisé (du cuivre particulièrement pur), jusqu’à la teneur en oxygène absorbée par le métal en fusion, et même la température de fonte et de solidification (proche de 1066°C).

La fabrication de l’objet découvert à Mehrgarh démontre la maîtrise technique exceptionnelle des artisans de l’époque. Les métallurgistes chalcolithiques ont inventé un mode de fabrication révolutionnaire, la fonte à la cire perdue, qui mènera dès le 4e millénaire à la naissance d’une nouvelle expression artistique, la statuaire métallique. Cette technique de fonderie de précision est encore de nos jours la méthode de choix pour la fabrication minutieuse d’objets d’art, mais aussi dans le domaine de l’aéronautique, de la santé, etc. La technique d’imagerie développée pour étudier l’objet est quant à elle d’un grand intérêt pour l’étude d’une très large gamme de systèmes : tissus biologiques, matériaux semi-conducteurs et… objets archéologiques. Cette publication constitue également l’occasion de saluer la mémoire de Jean-François Jarrige, archéologue, découvreur du site de Mehrgarh et décédé en 2014.

Qu’est-ce que l’imagerie spectrale de photoluminescence ?

L’imagerie de photoluminescence permet, sous l’effet de l’excitation d’un matériau par un faisceau de lumière (ici dans le visible ou l’UV), de collecter une émission résultant de la désexcitation d’électrons. Dans ce travail, cette émission signe la présence de défauts cristallins dans la cuprite. Les expériences présentées dans le cadre de la publication résultent de l’utilisation de la ligne de lumière DISCO du synchrotron SOLEIL avec des développements spécifiques apportés dans le cadre du doctorat de T. Séverin-Fabiani (IPANEMA / Synchrotron SOLEIL).

Dans la presse internationale

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Voir en ligne : Article sur le site de Nature Communications


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